AC Milan - Liverpool 2005 : La finale du siècle
- Gaspard Devisme
- 15 févr. 2022
- 11 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 mars 2022
Pour une première finale européenne en terre turque, il est difficile de faire plus honneur à la réputation électrique des stades du pays. Environ 30 000 anglais ont fait le voyage jusqu'à Istanbul, tandis que le Milan a vendu 20 000 billets à ses fans. Deux clubs légendaires, des grands joueurs des deux côtés, une atmosphère bon enfant mais pleine de ferveur. Bref, tout ce qu'il faut pour écrire une page d'histoire.

22 acteurs, 69000 spectateurs et des millions de téléspectateurs d'une nuit gravée dans le grand livre du Football Européen
Les Rossoneri se présentent en ce 25 mai 2005 après un parcours qui les a vu affronter les Red Devils de Manchester United en 8ème et le PSV Eindhoven aux portes de la finale. En quart, ce sont les voisins de l'Inter qu'ils repoussent au terme d'un match arrêté à la 75ème minute après des jets de projectiles des supporters Interistes. Les coéquipiers de Kaká menaient alors 1-0 après l'ouverture du score à la 34ème minute d'Andriy Shevchenko, ils remportent finalement la rencontre 3-0 sur tapis vert.
En face, les Anglais ont dû se frotter au Bayer Leverkusen, à la Juventus de Pavel Nedved, et aux futurs champions d'Angleterre de Chelsea.
Pour les deux équipes, seules les demi-finales auront été à danger, un petit 1-0 sur l'ensemble des matchs aller-retour pour Liverpool, et une qualification obtenue grâce à un but à l'extérieur pour Paolo Maldini et sa bande.
En championnat, les joueurs du Merseyside ont terminé la saison à une triste cinquième place à près de 40 points du leader londonien. Les Italiens terminent, eux, à 7 points de la Juventus, après n'avoir remporté qu'un seul de leur cinq derniers matchs, parmi lesquels une défaite face à la Vieille Dame. Les deux ogres du football européen s'affrontent donc pour sauver une saison en deçà des attentes de chaque côté.
La stat : Pour les Reds, le dernier sacre sur la plus haute marche européenne date de 1984. Pas de sacre national depuis 1990 non plus, autant dire qu’un titre majeur devient pressant pour les hommes de Rafa Benítez.
D'un côté, l'AC Milan se présente avec un onze constitué de stars à chaque poste. Shevchenko - Crespo sur le front de l'attaque, couverts par les CRS Stam et Nesta en charnière, le tout lié par un quatuor Pirlo - Gattuso - Seedorf - Kaká. Vous ajoutez à cela deux latéraux plus que confirmés, et vous obtenez une jolie armada.

Le clinquant onze du Milan AC
De l'autre, les Reds sont emmenés par leur jeune capitaine Steven Gerrard, et un néo-international espagnol en la personne de Xabi Alonso, entourés de soldats sur chaque lignes. Sur le papier, c'est clair, les Italiens ont une longueur d'avance. En revanche, les Anglais sont accompagnés par un douzième homme, ou plutôt 30 000, pour le moins bruyants.

Un onze qui sent la Premier League à plein nez
Le coup d'envoi est donné après un discours du capitaine Gerrard auprès de ses troupes. Stevie G n'a apparemment pas trouvé les bons mots puisqu'après une minute de jeu les Reds se font déjà surprendre. Un coup franc excentré au bord de la surface de Dudek, Andrea Pirlo est à la baguette, le Maestro trouve Maldini... qui fait parler ses qualités de buteur et reprend de volée pour le 1-0.
Le rythme en ce début de match est très soutenu. En effet, les hommes de Benítez ne se laissent ni intimider, ni assommer, par l'entame des Milanais. Sur corner, puis sur un centre dans la foulée, Gerrard trouve Carragher et Hyypiä pour deux bonnes opportunités de revenir à hauteur. La cadence infernale des premières minutes retombe rapidement, le Milan tient le ballon mais n'est pas dangereux en dehors des phases arrêtées. Heureusement que Kaká nous réveille avec un délice de petit pont sur Xabi Alonso.
Après 20 minutes, un joueur, que l'on pourrait être amené à évoquer plus tard, fait son apparition sur la pelouse du Atatürk Olimpiyat Stadyumu. En effet, Vladimir Smicer rentre à la place de Harry Kewell qui, touché, est contraint de quitter ses coéquipiers. Une blessure au pire des moments qui ne risque pas d'améliorer sa cote de popularité auprès des fans de Liverpool. Ces derniers lui reprochent ses blessures répétées et sa nonchalance sur le pré. Pour ne pas arranger les affaires de nos amis rouges, chaque opportunité anglaise est réduite à néant par la paire Stam - Nesta. Les supporters des Reds, les seuls à se faire entendre en ce 25 mai, sont la seule éclaircie dans un triste début de soirée pour la bande à Gerrard.
Alors que Liverpool multiplie les longs ballons pour trouver la tête de Milan Baroš, drôle d'idée face à Jaap Stam, les Milanais manquent de doubler la mise suite à une nouvelle percée de Kaká. Après une course de 70 mètres, le Brésilien décale Shevchenko qui trouve le petit filet de Dudek. Sans intervention de la VAR, et les 10 minutes qui vont avec, le but est logiquement refusé pour hors-jeu de l'Ukrainien. Seulement, à peine quelques minutes plus tard, Kaká trouve à nouveau le Ballon d'or 2004 qui décale à son tour Crespo qui n'a plus qu'à pousser le ballon au fond des filets pour le 2-0 (40').
Côté Rossoneri, Pirlo et Kaká se démarquent pour la facilité avec laquelle ils peuvent créer le danger par la passe ou le dribble. En face, le flanc gauche de l'équipe de Benítez se fait remarquer pour son match catastrophique. Entre Riise et Traoré, chaque duel avec un adversaire donne de nouvelles sueurs froides aux fans du club de la Mersey. Sans pitié, Kaká continue son chef d'œuvre. Contrôle orienté pour mettre son vis-à-vis à ses pieds. Passe millimétrée qui laisse Carragher hors de portée. Crespo trouvé, les Reds achevés d'un petit piqué. 3-0 (44'), c'est plié.

Crespo scelle la rencontre face à Dudek
La première période se termine donc alors que le vainqueur est déjà connu. Les réalisateurs nous laissent avec de terribles images de fans anglais sans voix, résignés. Pendant 45 minutes, les Reds sont invisibles et dépassés par une triplette Seedorf, Pirlo, Kaká qui fait des ravages et sert parfaitement un Crespo réaliste. Les 45 prochaines minutes s'annoncent longues, mais les quelques 30 000 fans venus soutenir Gerrard et ses troupes font parler leur classe à la sortie des vestiaires. Sûrement par orgueil, ils font savoir à leurs joueurs qu'ils ne les lâcheront pas... si c'est réciproque et que les 11 joueurs alignés se donnent pour rendre fier leur public. Bien vu les gars (et les filles), vous ne serez pas déçus.
"Il ne voulait pas voir son club comme ça, être humilié. [...] Il a donné le meilleur discours de capitaine que j'ai entendu de ma carrière. Il a demandé à tout le monde de sortir, même Rafa (Benítez ), il ne voulait qu'être avec les joueurs. Ça nous a donné la force." Tels sont les mots de Djibril Cissé évoquant Steven Gerrard à la mi-temps de la finale.
Dès l'entame de la deuxième mi-temps, une énergie différente est présente. L'agressivité des Liverpuldiens se fait ressentir même si les opportunités mettent quelques minutes à arriver. Le premier frisson est l'œuvre de Xabi Alonso, l'Espagnol confirme le réveil des siens par un missile de plus de 30 mètres qui frôle le montant droit de Dida. Carragher se permet ensuite une cavalcade en territoire milanais, le danger approche. Toutefois, c'est sans compter sur Djimi Traoré qui continue sa belle partition et perd le ballon avec le seul Hyypiä en couverture, contraint d'offrir un coup franc à Shevchenko à l'entrée de la surface. Une combinaison efficace, un missile du numéro 7 milanais dans une zone compliquée pour Dudek, et si le match se jouait ici ? Le Polonais sort une superbe parade et, moins de deux minutes plus tard, Riise trouve son capitaine dans la surface de Dida. Gerrard ne manque pas de profiter de cette demi opportunité. Le gardien brésilien est trompé par un lob de la tête imparable, le but de l'espoir (3-1, 54').

"Personne ne leur a dit que c'était impossible, alors ..."
Parfaitement connaisseur de son public, l'Anglais harangue la foule qui n'en demandait pas tant pour s'enflammer. Au coup d'envoi, l'atmosphère est étrange, il y a encore deux buts d'écart mais les Reds sont survoltés, leurs fans, emplis de fierté, se mettent à rêver. Une sorte d'insouciance parfaitement résumée par le commentateur britannique : "You never know... You never know". Comme pris par l'énergie présente, les Milanais perdent la balle quasi instantanément après l'avoir remise en jeu. Les Italiens reculent et se désorganisent, les quatre défenseurs sont alignés à hauteur du point de penalty, et Seedorf doit accomplir le rôle de trois milieux à lui seul. Logiquement, le Oranje est en retard sur ses interventions et permet à Vladimir Smicer de prendre sa chance à 25 mètres - je vous avais dis que nous reparlerions de lui - et trompe un Dida pas exempt de tout reproche. Une frappe anodine à la trajectoire traître et le momentum est complètement renversé (3-2, 56').
Alors que le bon sens et la tradition Italienne devraient pousser les joueurs du "Mister" Ancelotti à calmer le jeu et faire courir l'adversaire, ils se précipitent vers l'avant et pressent n'importe comment, laissant leur défense sans couverture. Il n'en faut pas plus à Carragher pour prendre une nouvelle fois l'initiative, se faufiler, et transmettre la gonfle à Milan Baroš. La future légende de l'Olympique Lyonnais offre à Stevie G une délicate remise du talon. Comme un symbole, c'est le héros du peuple rouge qui est accroché par Gattuso et s'écroule dans la surface pour aller chercher le penalty de l'égalisation. Après une heure de jeu d'un match sans queue ni tête, Xabi Alonso a la responsabilité de remettre les siens à hauteur. Un seul regret, l'horrible piste d'athlétisme qui nous empêche de profiter de spectateurs à quelques mètres du duel hispano-brésilien.
Derrière le point de penalty, un gamin de 23 ans, déjà international espagnol, qui termine sa première saison sur les bords de la Mersey. Derrière la ligne de but, un membre des aventures 98 et 2002 avec la Seleção habitué à la pression. Alonso s'élance... et perd son face à face. Mais comme ce match est irrationnel et que rien ne peut s'y passer comme prévu, le milieu défensif n'arrête pas son effort et peut catapulter le ballon sous la barre avant que le gardien Rossonero ne puisse l'atteindre.
54ème minute, 3-0. 61ème minute, 3-3. Pas grand chose à dire de plus, la dernière demi-heure s'annonce fantastique, électrique, tragique, ou tout autre adjectif se terminant par -ique.
Le contraste entre fans des Reds et fans Rossoneri est assez parlant s'il fallait illustrer le scénario de cette finale. Rarement l'importance du douzième homme n'aura été aussi bien représentée. Les quelques minutes suivantes sont également mouvementées mais ne présentent pas de dangers supérieurs à quelques frappes lointaines.
À en croire les stats modernes, le Milan AC aurait du remporter cette finale 2.68xG à 2.14xG. Contrairement aux expected goals, les émotions ne sont pas mathématiques.
A partir de la 65ème minute, cette finale prend une allure de fin de five où tout le monde est crâmé mais sait aussi que la nuit ne se finira pas sans vainqueur. Ainsi, les 25 dernières minutes sont beaucoup plus calmes malgré quelques frissons pour Rafa Benítez et ses joueurs : Traoré sauve sa performance en arrêtant une tentative de Shevchenko sur sa ligne, un corner du Milan dévié par Stam que ne parvient pas à reprendre Kaká, Carragher qui se jette dans les pieds de ce même Kaká à 6 mètres du but anglais.
Le coaching time arrive à la 85ème minute avec l'entrée de Djibril Cissé en lieu et place de Baroš côté Anglais. Ancelotti fait lui sortir son double buteur Crespo ainsi que Seedorf à la faveur de Jon Dahl Tomasson et Serginho. C'est en prolongations que les entrants auront l'occasion de s'exprimer puisque Monsieur González donne rendez-vous aux vingt deux acteurs quelques minutes plus tard pour les 30 minutes les plus importantes de la carrière d'un paquet de joueurs sur le terrain.
Dans la continuité de la dernière demi-heure, les prolongations sont plus un défilé de joueurs exténués qu'une ode au Beautiful Game. Les plus entreprenants sont les fans des Reds lorsqu'il s'agit de siffler chaque possession milanaise. Des Anglais qui touchent peu le ballon, des Italiens peu entreprenants, voilà le résumé simplifié de 30 minutes de tension qui nous dirigent droit vers une séance de tirs au but qui aura sa place dans les livres d'Histoire à coup sûr. Un résumé vrai, à un détail prêt. Avant d'aller cirer le banc du Real, Jerzy Dudek écrit sa légende en contraignant Shevchenko à un double échec à bout portant, à quelques secondes de la fin des 120 minutes de jeu.
Le temps réglementaire est dépassé mais une telle rencontre ne peut pas se terminer sans un dernier coup de chaud d'un côté ou de l'autre. Alors qu'ils sont presque invisibles depuis leur égalisation, les joueurs du Nord de l'Angleterre se voient offrir un coup franc à l'entrée de la surface de Dida. Steven Gerrard, légende vivante d'un club en mal de trophée majeur depuis plus de quinze ans, qui de mieux pour délivrer une ville entière ? Dit comme ça c'est logique, mais dans les faits, l'Anglais établit une combinaison bien moche conclue par une frappe de Riise, contrée avant même de décoller du sol.

Pas 100% sereins avant les tirs au but nos amis rouges.
Comme depuis le début de la deuxième période, seuls les Liverpuldiens se font entendre dans les tribunes de l'arène turque alors que les gladiateurs s'apprêtent à livrer le dernier combat. Après une belle accolade entre les deux gardiens, le premier tireur milanais pose le ballon et prend son élan. Serginho se manque complètement et envoie le ballon largement au dessus de la barre de Dudek. Côté Liverpool, c'est Hamann, rentré en cours de match, qui prend ses responsabilités et ne tremble pas pour donner le premier avantage aux Anglais.
Liverpol 1 - 0 Milan, Jerzy Dudek a l'occasion d'offrir aux Reds une sacrée option sur le titre. Face à une tentative pas assez tranchante d'Andrea Pirlo, le Polonais reste sur son nuage (d'où il a sûrement vu arriver le ballon de Serginho) et permet à Cissé de tirer sans pression. Le protégé de Guy Roux ne manque pas cette chance et donne un avantage quasi décisif aux siens. Dos au mur, Tomasson parvient enfin à faire taire les sifflets anglais en trompant Dudek pour entretenir l'espoir. Espoir ravivé par Dida qui arrête la tentative de Riise, puis Kaká qui ramène les deux équipes à égalité en attendant le penalty de Smicer. L'auteur du deuxième but des Reds envoie sûrement le tir au but le mieux frappé de la séance pour donner une balle de match à son gardien.

Dudek - Shevchenko : Round 2
C'est un duel d’Europe de l’Est qui peut sceller la rencontre : entre la muraille polonaise Dudek et l’icône ukrainienne Shevchenko. Quelques minutes auparavant, le gardien a pris le dessus par deux fois sur son adversaire. "Le poids du monde sur ses épaules" pour Andriy, comme le rappellent bien les consultants anglais. En face, un gardien en feu depuis une heure, et un douzième homme entièrement acquis à la cause des Scousers. Une longue course d’élan pour l’ancien Blue de Chelsea, qui ralenti sa course au fur et à mesure qu’il se rapproche du ballon. Le numéro 9 peut offrir la victoire aux Anglais, ou emmener les Italiens avec lui en enfer. Aucun eye contact avec Dudek, peu de temps de préparation. L’Ukrainien est soit ultra serein, soit complètement flippé. Peu importe, il s’approche du ballon tandis que son vis-à-vis danse dans sa cage. Le Milanais ouvre son pied droit, une dernière feinte de corps vers la droite pour le Liverpuldien et c’est le moment fatidique. Le tir au but part légèrement à gauche, côté choisit par Dudek qui sort sa main gauche, aussi ferme que la frappe est molle. Liverpool est champion d'Europe pour la première fois depuis 1984, et Shevchenko était bien complètement flippé.
Toute l’équipe de Liverpool envahit le terrain, joueurs, staff, membres du board. Et cela, sous un vacarme mené par des supporters qui n’ont jamais lâche leur équipe, au bord du gouffre ou au paradis, qu'importe, You’ll Never Walk Alone. Caméras braquées sur Gerrard qui célèbre avec son public, des anglais qui se suivent au micro et répètent un par un que le public a fait la différence. En ce 25 mai 2005, Liverpool a bel et bien joué à 30 000. 30 000 fans, à 3000 kilomètres de chez eux, qui sont restés derrière une équipe fantomatique rentrée aux vestiaires menée 3 buts à 0. Si les Reds n'ont jamais été dominateurs de cette finale, en dehors d'une dizaine de minutes en transe, les dieux du football ont sûrement décidé de récompenser l'unité d'un peuple et la jeune carrière d'une future légende en mal de trophée majeur à son palmarès. Non, définitivement, cette Ligue des Champions 2005 ne pouvait pas échapper à Steven Gerrard et les siens. Deux ans plus tard, avant la revanche de 2007, Carlo Ancelotti déclare "Milan a bien a joué à Istanbul et méritait de remporter la Ligue des Champions". D'accord Monsieur Ancelotti, mais n'oubliez pas, "Les vainqueurs l'écrivent, les vaincus racontent l'histoire".
Oui, le match des Reds n'est pas parfait. Oui, l'AC Milan a eu les opportunités de tuer le match à plus d'une reprise. Mais non, l'équipe de Steven Gerrard ne pouvait pas rentrer de Turquie bredouille. Si quelques mots ne parviennent pas à vous convaincre, prenez quelques minutes pour profiter de la communion entre joueurs et supporters de Liverpool sur fond de You'll Never Walk Alone... vous comprendrez. Une victoire si importante pour Stevie que lorsqu'on lui demande en 2017 qui a remporté la Ligue des Champions 2006, il répond : "Je ne m'en rappelle pas, j'étais probablement encore bourré de 2005". L'Angleterre qu'on aime.
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