Marlboro et la F1, un coup fumant
- Gaspard Devisme
- 7 mai 2023
- 7 min de lecture
D’abord totalement assumés, les liens entre la Formule 1 et le monde du tabac se sont assombris avec les années. Toujours à la recherche de visibilité, les cigarettiers ont habillé les monoplaces, dribblé les règlements, et payé des centaines de millions depuis cinquante ans. Si les exemples sont légions, Marlboro est sûrement celui le plus parlant. Des titres, des livrées de légendes, des tour de passe-passe pour garder son influence en F1, retour sur l’aventure du sponsor le plus marquant de l’histoire de la catégorie reine.

Un mariage unique
La Formule 1, une affaire de moteurs, de pilotes, de circuits. Un dénominateur commun : les gros sous. Et les gros sous, ils viennent surtout des sponsors. Partie intégrante de l’écosystème, les marques ont écrit l’histoire de la catégorie reine par leurs succès, leur historique, mais peut-être plus encore par les livrées qui ont émergées de ces partenariats. Parfois issues du monde automobile, ces marques sont aussi régulièrement des entreprises uniquement à la recherche de visibilité à travers une association avec un sport prestigieux. Gulf, Benetton, ou autres Red Bull, elles sont indissociables des voitures collées au sol qui flirtent avec l’asphalt week-end après week-end. Cependant, l’un de ces acteurs majeurs a récemment disparu des radars et cela s’apparente à un changement d’ère dans la grande histoire d’amour entre la F1 et les sponsors.

Lé passé où c'logo vert ?
Depuis la fin de la saison 2021, le mystérieux Mission Winnow a disparu des livrées Ferrari suite à l’accumulation des suspicions autour de ce partenariat. Des suspicions qui font sens si on prend à peu près dix secondes pour fouiller le site de l’organisation. Un petit tour dans les mentions légales pour y voir la mention « Philip Morris Products S.A. » Philipp Morris, nom bien connu de l’industrie du tabac et maison mère de Marlboro, marque indissociable de l’univers Formule 1 depuis une cinquantaine d’années. Pourquoi Mission Winnow ? Où est passé Marlboro ? Flashback.
D’abord, un peu d’histoire… En 1968, pour offrir plus de financements à ses écuries, la Formule 1 décide d’autoriser l’apparition des sponsors dans son industrie. Jusqu’ici, les seules marques visibles sont les fournisseurs de carburant et de pneumatique. Une petite révolution… Non, une immense révolution pour un sport jusque-là réservé aux amateurs de gros moteurs et de marques clinquantes. Pas une, pas deux, dès que c’est autorisé la marque Gold Leaf fait les présentations entre le monde de la Formule 1 et celui du tabac. Les cigarettes britanniques changent complètement l’apparence des Lotus à partir de 1968, et définissent le terme de livrée en prêtant leurs couleurs aux monoplaces.

La première "livrée" de l'histoire
Le premier à suivre la marche, au début des 70s, est le plus célèbre de tous. À l’occasion de la saison 1972, Philip Morris, à travers Marlboro, s’invite sur la livrée BRM. Pas des plus marquants, le partenariat entre le cigarettier et BRM dure deux saisons mais est surtout la première apparition de la filiale de Philip Morris sur une Formule 1. Des années avant les code barres ou le fameux Mission Winnow, Marlboro opère ici un premier tour de passe-passe. Les pubs sur le tabac n’ont pas d’avenir et les restrictions commencent à fleurir partout dans le monde. Quoi de mieux qu’un sport international, populaire auprès de toutes les générations et tous les publics, comme plateforme pour une industrie qui doit se réinventer ? Pas grand chose. Les résultats de l’écurie britannique ne sont pas particulièrement probants mais l’essentiel est ailleurs pour la marque rouge et blanche. On a glissé un pied dans l’univers automobile pour mieux s’y intégrer à long-terme.
En langage F1, long-terme se dit « Scuderia Ferrari ». En effet, l’écurie au cheval cabré est la plus ancienne sur la grille. Prestigieuse, élégante, elle se marie parfaitement avec la cible du marché du tabac. Cerise sur le gâteau, qui de mieux pour accompagner le rouge de Ferrari que celui de Marlboro ? Ou peut-être l’inverse. Ça dépend du point de vue, mais ce qui est sûr c’est que cette association arrange tout le monde. D’une petite apparition sur les casques des pilotes à partir de 1973 à un naming de l’écurie « Scuderia Ferrari Marlboro » entre 1997 et 2011, la marque de cigarette et l’écurie la plus populaire du plateau ont tout connu.
Cependant, Marlboro mise d’abord ses plus gros sous sur une autre écurie, apparue sur la grille quelques années auparavant. Quasiment en même temps que son arrivée en Italie, Marlboro se lie à McLaren, qui prend les couleurs du cigarettier dès 1974. Jusqu’en 1996, les cigarettes américaines sont de tous les succès de l’écurie chère à Bruce McLaren. Les titres des années 80, la rivalité Prost - Senna, les plus belles pages de l’histoire de l’écurie de Woking ont été écrites en rouge et blanc. Des monoplaces mythiques en tous points. Des performances et des pilotes légendaires qui ont fait rayonner les livrées grimées Marlboro pendant deux décennies, pour en faire l’une des associations les plus marquantes de la Formule 1 moderne. Aussi fructueux et marquant qu’il ait été, le partenariat McLaren - Marlboro n’a jamais été aussi fusionnel que ne l’a été l’association entre la Scuderia et la marque aux paquets rouges et blancs.

Le crash le plus célèbre de l'histoire de ce sport... en rouge et blanc
D’abord discrète, cette relation prend de l’ampleur au début des années 80 lorsque Marlboro se dévoile enfin sur les monoplaces italiennes. D’un sponsor parmi d’autres, la marque de cigarettes devient au fil des années la plus visible sur les voitures de la Scuderia. En 1993, Marlboro prend place sur l’aileron arrière des Féfés… qu’il ne quittera plus. Toujours mythique, mais pas toujours victorieuse, l’écurie italienne ne laisse pas passer sa chance lorsque se présente l’occasion d’embaucher le pilote le plus talentueux de sa génération. Un certain Michael, récent double champion du monde avec Benetton. L’Allemand arrive une saison avant le changement de nom de la Scuderia Ferrari en Marlboro Scuderia Ferrari.
Pour les tifosis, Schumacher - Ferrari c’est un tandem symbole de trophées. Pour les marques, c’est un symbole de visibilité. Entre 1996 et 2006, les monoplaces rouges jouent toujours le haut du tableau, habillées aux couleurs de la filiale de Philip Morris. Six trophées constructeurs, mais surtout cinq titres consécutifs du Baron Rouge. Marlboro est indissociable de l’une des périodes de domination les plus marquantes de l’histoire de ce sport. 2005, fin de la domination de Schumi sur la grille. 2006, première vague de grosses restrictions pour les sponsors issus de l’industrie du tabac en F1. Jolie synchro, mais on est loin de la fin de l’influence de Philip Morris dans la catégorie reine.
Ce n’est qu’en 2011 que l’appellation Marlboro quitte le nom de la Scuderia. Et jusqu’en 2021, l’entreprise trouve toujours le moyen d’apparaître sur les monoplaces à travers différents stratagèmes. Alors que Marlboro disparaît déjà de la monoplace Ferrari lors de nombreux Grands Prix en raisons de restrictions nationales, c’est à partir de 2006 que les huit lettres disparaissent définitivement des voitures italiennes. Mais quand une marque est si ancrée dans l’esprit collectif, une simple évocation suffit à en rappeler la présence. Un logo rouge et blanc, s’apparentant à un code barres, vide de toute inscription, placé au même emplacement que l’était la marque de cigarettes, et le tour est joué. À 300km/h ça suffit amplement. Ce code barres disparaît finalement en 2011, en même temps que le retour au nom Scuderia Ferrari.

Marlboro disparaît… mais continue de raquer. Cinquante millions de dollars par saison versés à Ferrari pour finalement refaire son apparition sur la livrée en 2018. Une inscription « Mission Winnow » qui veut tout et rien dire, une organisation avec un objectif aussi clair que les stratégies de l’écurie, mais surtout un sponsor qui rappelle étrangement un code barres disparu sept ans plus tôt. Une ressemblance plus si surprenante lorsque l’on apprend que Mission Winnow n’est rien d’autre qu’un programme développé par Phillip Morris… Encore oit fumier.
Pourquoi s’entêter nous direz-vous ? Année après année, Marlboro perd en visibilité, les apparitions sont de moins en moins évocatrices, et en plus le cigarettier continue de payer des sommes faramineuses à son écurie fétiche. Eh bien peut-être parce que l’intérêt est ailleurs. En poursuivant cette relation, Marlboro s’offre la possibilité d’utiliser la marque Ferrari pour ses campagnes personnelles. Dans les pays où c’est encore autorisé, les paquets de Marleys s’affichent fièrement aux côtés des livrées Ferrari et de leurs pilotes. Ainsi, rien de surprenant à voir des affiches représentant les deux marques au cœur de Monaco en plein week-end de Grand Prix.

Ferrari - Marlboro, c’est bien plus qu’un partenariat. On parle ici de deux entreprises qui ont tout partagé pendant près de cinquante ans. Et quand on dit tout, c’est tout. En 2018, le Maltais Louis Carey Camilleri, déjà à la tête du groupe Philip Morris, prend le pouvoir chez la marque au cheval cabré. Camilleri succède à Sergio Marchionne, lui-même membre important de la maison PMI. Il en profite pour faire apparaître Mission Winnow sur les livrées Ferrari pour clôturer une collaboration de cinquante ans. Aussi riche en succès qu’en polémiques, elle est gravée à jamais dans les mémoires grâce à une domination sans partage dans les années 2000.
Outre ces deux collaborations, Marlboro a envahi l’univers automobile pendant des décennies en multipliant les partenariats avec toutes les parties. Déjà à l’honneur sur les McLaren, Marlboro prend une place toute aussi importante sur les livrées Alfa Romeo entre 1981 et 1983. Des voitures quasiment identiques de l’extérieur, mais clairement pas les mêmes performances entre les moteurs. Voilà tout en ce qui concerne les écuries, mais ce n’est pas ici que Marlboro et Philip Morris s’arrêtent. À l’aube des années 80, la marque de cigarettes s’attaque au naming des Grands Prix. Grande-Bretagne, Hongrie, Espagne, Argentine et Brésil, tous ces pays ont attaché le nom Marlboro à leur course nationale. C’est en 2005 que l’on observe pour la dernière fois les monoplaces passer à toute vitesse sous d’immenses panneaux publicitaires à l’effigie des Marleys tours après tours.

Jusqu'en Argentine
Marlboro, c’est un nom à jamais lié au roi des sports automobiles. Sur les monoplaces, sur les casques, sur les combinaisons lors de chacun des titres de Schumacher avec la Scuderia, et enfin, partout autour des circuits. Entre 1970 et 2006, il est impossible de rater les couleurs rouges et blanches du géant du tabac. Faisant fi des règles en vigueur, il a même réussi à s’immiscer dans le paddock pendant quinze ans de plus… Et plus longtemps encore dans les têtes des fans de Formule 1.
Le tabac et la F1, c’est un recommencement perpétuel. Si Ferrari et Philip Morris en sont les plus parfaits exemples, ils ne sont pas les seuls. Anciens chouchous de Philip Morris, McLaren affichent depuis quelques saisons l’inscription « A better tomorrow » sur leurs voitures ainsi que le sponsor Vuse. Trois mots, dignes du meilleur post LinkedIn du coach en développement personnel qu’on déteste tous, s’avérant être diffusés par le groupe « British American Tobacco »… Tiens, c’est marrant ça rappelle vaguement un sponsor présent sur les Ferrari de 2019 à 2021. Quant à Vuse, on parle ici d’une marque de cigarettes électroniques. Un tour de passe-passe, encore un…
Cinq décennies, presqu’autant de stratagèmes pour garder leur place dans le paddock, Marlboro et tous ses pairs auront tout fait en F1. Des voitures aux pilotes, en passant par les circuits ou les noms d’écuries, tous ont servi de porte-étendard au monde du tabac. Enfin, cette tendance semble s’essouffler. Normal, me direz-vous, après cinquante ans de cigarettes.
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