Grand Prix d'Allemagne 1957 - "El Maestro" Fangio joue avec ses élèves
- Gaspard Devisme
- 15 févr. 2022
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 26 févr. 2022
Chaque année, la FIA nous offre de nouvelles dates au calendrier de la saison de Formule 1. Aux circuits historiques de Spa-Francorchamps (Belgique) ou Monaco s'ajoutent désormais des circuits plus récents et modernes les uns que les autres. Ces nouveaux tracés, plus ou moins réussis, laissent régulièrement la place à de fortes critiques. L'autodrome de Sotchi, installé sur un parking de l'ancien village Olympique, nous a habitué à des Grand Prix au calme plat, au sens propre comme au figuré, et le futur GP de Miami semble se diriger vers le même avenir. Ce ne fut pas toujours le cas, avec l'apparition du championnat de Formule 1 dans les années 50, les circuits n'étaient ni soumis à autant de restrictions sécuritaires, ni choisis pour les capacités financières de leur propriétaire, laissant la place à des tracés, disons... sportifs.

Nous sommes en 1957, la saison de F1 comporte 8 étapes, dont seules Monaco et Monza sont encore au calendrier actuel. Le circuit dont il est question aujourd'hui est la boucle nord du Nürburgring, la Nordschleife. Un circuit de plus de 22 800 mètres et 176 virages, oui 176, et 320 mètres de dénivelé positif. Autant dire que les chances de le voir réapparaître au calendrier dans les années à venir sont assez minces. On parle ici du circuit considéré, à l'unanimité, comme le plus dangereux jamais construit. Entre 1950 et 1976, l'asphalt de la Nordschleife aura vu 44 pilotes ou spectateurs perdre la vie le long du tracé, dont Peter Collins qui jouera un rôle important dans le récit du jour.

Juan Manuel Fangio, légende parmi les légendes du sport automobile, reste sur 3 titres de champion consécutifs en 54, 55 et 56. Ajoutez-y son titre de 51 et vous obtenez un pilote qui a remporté 4 des 7 premières éditions du Championnat du Monde de Formule 1, propre. Après être passé de Lancia-Ferrari à Maserati, la première partie de la saison 1957 part sur de bonnes bases également avec 3 victoires sur les 5 premiers Grand Prix. Avec seulement 3 Grand Prix restants, l'argentin arrive en Allemagne avec la possibilité de clore la course au titre s'il s'impose.
Dans un format différent de l'actuel, la séance qualificative se déroule sur deux jours, les vendredi 2 et samedi 3 août. Ces deux séances permettent aux équipes d'effectuer leurs réglages et aux pilotes d'effectuer le meilleur temps au tour qui offrira la pole. Le leader du championnat s'impose avec un tour en 9 (mn) : 25 (secondes) : 6 (dixièmes), loin des 1:59:77 sur les 7km de Spa, plus long circuit de la saison 2021. Fangio s'apprête donc à prendre le départ en tant que leader du GP devant les Ferrari de Mike Hawthorn et Peter Collins, parmi lesquelles Jean Behra (Maserati) s'est incrusté en P3. Dès les premiers mètres parcourus, les deux Ferrari présentes en 1ère ligne prennent l'avantage sur les pilotes Maserati. Fangio restera dans les échappements de ses adversaires tout au long du tour mais reprendra assez rapidement la tête de la course.

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Après 6 tours, le Maestro a déjà une confortable avance de 11 secondes sur ses plus proches poursuivants. Avance qu'il conforte tour après tour et porte à la trentaine de secondes après avoir parcouru 8 des 22 tours du circuit allemand. Alors que la firme fondée par les frères Maserati se dirige vers une nouvelle course maîtrisée, Fangio s'arrête aux stands après 12 tours. Maserati, dans un arrêt qui inspirera sûrement les équipes Ferrari actuelles, rate complètement le ravitaillement de son pilote qui passera 52 secondes dans l'affaire. L'argentin ressort 45 secondes derrière le leader Peter Collins, Mike Hawthorn est lui intercalé entre les deux. C'est ainsi que l'équipe de Fangio décide de jouer son va-tout et établit une stratégie audacieuse.
L'idée est de laisser Ferrari penser que Fangio ne croit plus à la victoire et qu'il se bat face à des soucis mécaniques. En Formule 1 moderne, cela donnerait "Bono, my tyres are gone" avant une remontée de tout le peloton par un simple septuple champion du monde.

Lewis Hamilton remporte le GP de Grande-Bretagne 2020 avec le pneu avant gauche crevé
Après que Ferrari ait indiqué à ses deux pilotes leaders de ralentir le rythme pour limiter tout risque en fin de course, l'ingénieur de Fangio lui fait signe qu'il peut y aller pied au plancher. Fangio attend la fin de la ligne droite des stands et démarre sa remontée fantastique, à l'abri des regards adverses, dès le début de la descente d'Hatzenbach. En seulement un tour, de 22,8 kilomètres certes, l'argentin reprend quasiment 15 secondes et se retrouve à 33 secondes de ses adversaires avec 5 tours à boucler. Un tour de circuit de plus et c'est 25,5 secondes qui séparent les pilotes Ferrari et Maserati. Le meilleur pilote de sa génération conduit à la limite virage après virage face à un public subjugué, partagé entre admiration et effroi. 3 tours restants avec désormais 15 secondes d'écart. Après 16 tours, malgré l'accélération de Juan Manuel Fangio la tendance restait à une victoire de la Scuderia, avec désormais une nouvelle quinzaine de secondes reprises, les suiveurs commencent à croire à l'impensable.
Le 20ème tour est le plus beau de la remontée, la Maserati 250F de Fangio boucle la Nordschleife en 9:17:4, le natif de Balcarce est 8 secondes plus vite que lors de son tour de qualif qui lui offrit la pole. Absolument aucun sens. Ce chef d'œuvre laisse le Maestro dans les échappements de Collins pour entamer l'avant-dernier tour alors que ce dernier n'est qu'à 2 secondes d'Hawthorn. Peter Collins, à qui le Nürburgring coûtera la vie la saison suivante, résiste bien face à Fangio mais dans une courbe, l'argentin décide de prendre l'intérieur de son rival et profitera d'une meilleure sortie pour s'emparer de la 2ème place. Hawthorn ne pourra pas garder la tête bien plus longtemps, il est dépassé quelques virages plus tard par le numéro 1 mondial. Après les 22 tours du Grand Prix, Mike Hawthorn passe la ligne 3 secondes derrière Fangio tandis que Collins, complétant le podium a chuté à 35 secondes après avoir vu l'un de ses verres de lunettes brisé lors de son dépassement par la Maserati.

Attendu par sa femme dès la ligne d'arrivée, Fangio remporte le titre 1957 sur une course légendaire où il aura joué avec les Ferrari durant 6 tours hors du temps. Ses deux jouets Ferrari, justement, le félicitent chaudement à l'issue de la course et peuvent au moins se targuer d'avoir participé à l'apothéose du Maestro, pas si pire.
Terminer sa carrière sur une saison de Champion du Monde avec 4 victoires, comme l'impression que ce ne sera pas le cas pour tous les quarantenaires en Formule 1, coucou l'Iceman. En effet, Fangio quitte la scène F1 en même temps que Maserati à l'issue de la saison 1957. L'argentin participera à deux courses, dont le GP d'Allemagne, en 1958 mais ne défendra ni son titre, ni les couleurs d'une écurie à la lutte au championnat.
L'histoire retiendra que le dernier des 24 succès de Juan Manuel "El Chueco" Fangio sera certainement le plus beau. Après 5 titres de Champion du Monde, Fangio achève son oeuvre avec une conduite aux limites du raisonnable dont il dira lui même : "Je pense que j'étais possédé aujourd'hui. J'ai fais des choses au volant que je n'avais jamais faites et je ne veux plus jamais conduire comme cela". Comme quoi, faire le Fangio n'est pas sans risque, même pour Fangio.
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